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Le silence qui parle juste : entre Ibn Arabi et Al Bistami !

“J’ai bu l’amour coupe après coupe et je ne suis pas désaltéré.” Al Bistami
Par une nuit estivale, cheikh el-Akbar Ibn Arabi (1165-1240) a fait un rêve. “Le songe d’une nuit d’été” a écrit Shakespeare. Un rêve installé au centre de la réalité soufie. Chez la gent des soufis, entre eux, comme entre eux et Dieu, la distance temporaire ou physique n’existe pas. Dans son rêve, Ibn Arabi a entendu une voix céleste ordonnant de partir à la rencontre de son grand maître Abu Yazid Al Bistami (804-874 ou 877/8).  Quatre siècles séparent les deux lumières. Mais rien ne les sépare ! Al Bistami, aux yeux d’Ibn Arabi était son Guide suprême sur le chemin du savoir, de la spiritualité et de l’élévation. L’unicité ! Les locutions théopathiques (shaṭaḥāt) d’Al Bistami, des siècles durant, malgré l’œil du censeur islamique orthodoxe qui ne dort jamais, étaient récitées, lues dans les cercles d’intellectuels de lumières, les éveillés, dans le monde arabo-musulman, de Bagdad à Sijilmassa, et d’Ispahan jusqu’à Tolède. Fasciné par tout ce que les voyageurs et quelques biographes courageux ont colporté à propos de la vie spirituelle et rationnelle exceptionnelle d’Al Bistami, hanté par une grande curiosité intellectuelle, toujours dans le rêve-réalité, Ibn Arabi a pris congé de ses adeptes à Ceuta où il séjournait en leur annonçant sa décision de partir à la rencontre d’Al Bistami ! Monture aillée sellée, et voici Ibn Arabi qui prend le chemin vers le pays du Levant. L’élévation ! Après un long voyage comblé d’un ardent désir, Chawk Ibn Arabi arrive à sa destination : Bilad Achcham. Sur le champ, il demande aux hommes de la cité de le conduire pour voir Al Bistami. “En cette heure-là, à l’accoutumée, Abu Yazid Al Bistami s’isole sur les hauteurs de Damas, préférant s’assoir sur une pierre, dans une prière, non loin d’une fontaine”, a dit quelqu’un du groupe qui a accueilli Ibn Arabi. Conduit jusqu’au lieu indiqué, il le trouve tout seul, comme dans un état second, en train de regarder le ciel. Il prend place à ses côtés. Ils demeurent ainsi côte à côte, sans rien dire, sans rien se dire. La nuit tombe, les deux hommes se séparent, toujours sans aucun mot échangé. Que les regards, la méditation et les battements des cœurs ! Aucun mot. Le lendemain à la même heure, sur le même lieu, ils se sont rencontrés. Assis l’un face à l’autre, sans rien dire.  Après une troisième rencontre, toujours dans le silence, monture sellée, Ibn Arabi a refait son chemin de retour vers le pays du coucher du soleil, le Maghreb.  Arrivé dans sa ville, ses élèves se sont précipités à son accueil pour lui demander de leur parler de ce qu’il a vu d’étonnant, de particulier ou de fascinant chez le sultan des sages Al Bistami ? Après un profond silence, Ibn Arabi a dit : “Al Bistami m’a dit tout ce que j’attendais de lui. Il m’a dit tout ce que la parole n’a pas la capacité de dire.” Le silence est plus fort que la parole. Et le lendemain Ibn Arabi s’est mis à la rédaction de deux ouvrages consacrés à Al Bistami : Le premier, intitulé Kitâb al-minhaj as-sadîd fî tartîb ahwâl al-imâm al-Bistâmî Abî Yazîd (Le Livre du chemin bien tracé traitant de l’agencement des états spirituels de l’imâm Abû Yazîd). Le deuxième est titré Kitâb miftâh âqfâl al-ilhâm al-wahîd wa îdâh ashkâl al-murîd fî charh Ahwâl al-imâm al-Bistâmî Abî Yazîd (Le Livre (donnant) la clef qui ouvre les serrures de l’inspiration unique, et éclairant les signes indicateurs sur la voie de l’aspirant, (ouvrage qui commente les états spirituels de l’imâm Al Bistâmi Abî Yazîd ). Mais ces deux ouvrages restent, jusqu’à nos jours, introuvables ! L’œil du censeur ne dort jamais.

A. Z.
aminzaoui@yahoo.fr

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