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L’art de la provocation et les libertés rétrécissent par Amin Zaoui

Dans notre société uniformisée, culturellement parlant, quand on veut tirer sur un écrivain qui sort du lot, un loup solitaire, on le taxe de : “Il est provocateur. Il fait dans la provocation. C’est un écrivain polémique. Un écrivain controversé.” Mais quel est le sens du mot “provocation” littéraire ou philosophique, dans la tête d’un Algérien et dans la tête des citoyens d’autres nations qui nous ressemblent ? La provocation artistique ou littéraire, dans une société standardisée traditionaliste, signifie qu’un écrivain a franchi la ligne rouge. Il a touché à des sujets sensibles ! Il a bouleversé les convictions momifiées dans les cœurs ! Il a semé le désordre dans l’ordre établi ! Aux yeux des conservateurs passéistes, écrire sur un sujet qui aiguille la conscience remue l’intelligence et provoque des questions chez le lecteur est une provocation.

De ce fait, écrire pour condamner l’intégrisme islamiste est une provocation. Écrire sur la revendication légitime de la diversité linguistique en Algérie est une provocation. Écrire sur le droit des libertés des femmes est une provocation. Écrire sur l’égalité des sexes est une provocation. Écrire pour défendre le droit des femmes à la propriété de leur corps est une provocation. Écrire pour dénoncer l’hégémonie masculine est une provocation. Écrire pour condamner le harcèlement sexuel et les violences faites aux femmes est une provocation. Écrire pour revendiquer le droit à l’égalité femme/homme dans l’héritage est une provocation. Écrire pour dévoiler le silence sur le phénomène de l’inceste, une maladie socio-psychique et sexuelle largement répandue dans notre société, est une provocation. Écrire sur la pédophilie dans des établissements préscolaires est une provocation. Écrire sur les homosexuels dans la société musulmane est une provocation. Écrire sur l’absence des droits de l’homme dans notre société est une provocation. Écrire sur les guerres et les tueries déclarées entre les khoulafa rachidine (les califes bien guidés) et les compagnons du prophète (QLSSSL) est une provocation. Écrire sur la corruption nationale généralisée est une provocation. Écrire sur Saïd Sadi est une provocation. Écrire sur les bienfaits de la laïcité est une provocation. Écrire sur le marché juteux des organes humains est une provocation. Écrire sur la manipulation politique du vestimentaire religieux, le hidjab islamique, est une provocation. Écrire sur la beauté de la musique du raï est une provocation. Écrire sur l’obsession sexuelle débordante chez les musulmans est une provocation.

Écrire sur la place historique des juifs algériens est une provocation. Écrire sur la nécessité de l’enseignement de l’hébreu dans nos universités est une provocation. Écrire sur la place du français dans la société algérienne, onze millions parlent cette langue, est une provocation. Écrire sur la place méritée de la littérature francophone en Algérie est une provocation. Écrire sur la nécessité nationale à la généralisation de la langue amazighe dans l’école algérienne est une provocation. Écrire sur les assassinats des frères révolutionnaires par leur frère révolutionnaire pendant la révolution algérienne est une provocation. Écrire sur l’assassinat d’Abbane Ramdane par ses frères est une provocation. Écrire sur les femmes du prophète est une provocation. Écrire sur la régionalisation comme mode de gouvernance juste et égalitaire dans une nation forte et unie est une provocation. Écrire sur Ferhat Mehenni est une provocation. Écrire sur les Berbères de la localité de Beni Snous ou de Msirda, wilaya de Tlemcen, est une provocation. Écrire sur le détournement des fonds de la zakat est une provocation. Écrire sur les marchés suspects passés entre Alger et Riyad pour l’hébergement de nos hadjis est une provocation.

Écrire sur l’histoire majestueuse de la griffe du vin algérien est une provocation. Écrire sur l’état catastrophique actuel de la qualité du vin algérien est une provocation. Écrire sur la méthode utilisée par la commission nationale pour l’observation du croissant lunaire pour décider le premier ou la fin du Ramadhan est une provocation. Écrire sur les frontières variables entre le sacré et le profane est une provocation.

Écrire sur l’énigme de la personnalité d’Abu Hourayra est une provocation. Écrire sur la personnalité d’El Boukhari entre réalité et mythe est une provocation. Écrire sur l’amour adolescent de cheikh Youssef Qaradaoui est une provocation. Écrire sur le sens de la prière d’al Istisqa (prière des rogations pour la pluie) en ce temps de la technologie de pointe est une provocation. Écrire sur le droit fondamental à l’athéisme est une provocation. Écrire sur le droit des autres religions, qu’importe la religion, de vivre et d’exister sur le sol national, est une provocation. Écrire sur le rôle important de l’école juive dans l’histoire de la musique algérienne est une provocation. Écrire sur le nationalisme de la moudjahida cheikha Rémiti est une provocation. Écrire sur la sexualité au paradis, selon les textes sacrés des religions monothéistes, est une provocation. Écrire sur les prieurs voleurs de chaussures dans les mosquées algériennes est une provocation. Écrire sur la colonisation des musulmans de l’Espagne pendant huit siècles est une provocation… En fin de compte, “écrire librement est une provocation” !
La provocation assise sur le savoir est un art. La provocation intelligente dans la littérature n’est pas infantile. La provocation philosophique est l’énergie essentielle de la littérature. La provocation visionnaire est l’âme de toute écriture soucieuse de sa société et respectueuse de l’intelligence de ses citoyens-lecteurs.

La provocation a quelques adresses dans la littérature universelle : Kateb Yacine, Abou Nouas, Al Maâri, Baudelaire, Tahar Djaout, cheikh Al-Nafzaoui, Mohamed Choukri, Moudaffar Ennouab, cheikh Assouyouti, Nina Bouraoui, Henry Miller…

Amin Zaoui

In Liberté

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