Islamisme

Kiosque arabe. Quand la Syrie rend la justice

Par Ahmed Halli
halliahmed@hotmail.com

Un confrère et blogueur égyptien, Ahmed Al-Hasri, a trouvé une façon originale de rendre hommage au penseur Farag Fodda, assassiné il y a vingt-cinq ans, avec la bénédiction des autorités religieuses. C’est ainsi qu’il a déroulé la longue liste des dirigeants, et personnalités, de l’islam, tués par des musulmans qui ont le plus souvent justifié leurs actes par l’islam. Quelques étapes de ce parcours sanglant : cela a commencé avec Othmane, tué par des mains musulmanes, puis Ali, tué par des mains musulmanes, et ses fils Hussein et Hassan, le premier décapité post-mortem, le second mort empoisonné, et les meurtriers étaient des musulmans. Puis vient la période omeyyade, particulièrement sanglante, et l’auteur d’enchaîner : «ni Abou-Lahab, ni Abou-djahl n’ont osé utiliser des catapultes contre la Kaâba, et en détruire une partie, mais Hassine Ibn-Namir, chef de l’armée de Abdelmalek Ibn-Merouane, l’a fait. C’est sous ce dernier calife, encore, qu’a été tué Abdallah Ibn-Zoubir, fils d’Asma aux deux ceintures(1). Oui, les Omeyyades se sont entretués : Marwane Ibn-Alhakam a été tué par des musulmans, Omar Ibn-Abdelaziz, tué par les musulmans, viennent ensuite Walid ibn-Yazid, Ibrahim Ibn-Walid. Enfin, le dernier calife omeyyade, Marwane II, fut tué à son tour par le général de l’armée abbasside, Abou-Muslim Al-Khorassani.
A son tour, le calife fondateur, Abou-Al-Abbas, extermina tout ce qui restait de la dynastie omeyyade, exhumant même les restes des califes précédents, et crucifiant la seule dépouille encore indemne. Un vieux feuilleton, souligne Ahmed Al-Hasri, mais nous n’avons appris, et retenu de l’Histoire que ce que d’autres ont voulu pour nous, et nous avons décrété par fatwa que «Daesh» était une création récente. C’est ainsi que le journaliste conclut son hommage à Farag Fodda, penseur des lumières, assassiné le 8 juin 1992 par un trio de terroristes intégristes de la «Djamaâ islamya». Les deux exécutants du meurtre ont été condamnés à mort, et pendus, mais celui qui avait organisé le meurtre, Aboul’ola Abd-Rabbo, a échappé à la potence. Pourtant, c’est ce dernier qui était le chef du groupe terroriste, et qui avait même décidé que l’assassinat aurait lieu quelques jours avant l’Aïd el-Adha, de façon à endeuiller davantage la famille de leur victime. L’homme qui a criblé de balles Farag Fodda, un marchand de poissons du nom de Abd-Echaffi Ramadhan, a avoué, lors de son procès, qu’il ne savait ni lire ni écrire. Il a cependant affirmé qu’il obéissait à une fatwa d’Omar Abderrahmane(2), qu’il n’avait pas lue évidemment, mais qu’on la lui avait récitée, tout comme il n’avait rien lu de l’homme qu’il avait tué.
Mais bien avant la fatwa d’Omar Abderrahmane, il y a eu celle de l’imam attitré de nos élites dirigeantes, celui qui a armé le bras des assassins de Fodda, de Djaout(3), et de tant d’autres intellectuels. Il s’agit évidemment du défunt, et «cheikh», échappé des enfers, Al-Ghazali, l’idole de nos foules fanatisées, et de nos responsables hypocrites, qui avait désigné leur cible aux tueurs. Lors du procès des meurtriers de Farag Fodda, il avait confirmé sa fatwa décrétant que le penseur était un apostat, et il avait soutenu que ses assassins ne devaient pas être condamnés à mort. Al-Ghazali vouait une haine féroce à l’intellectuel laïc qui l’avait ridiculisé lors d’un débat contradictoire, resté dans les annales, et qui avait eu lieu dans un stade, et devant 30 000 personnes (4). Intervenant sous les huées d’une foule acquise aux thèses du cheikh intégriste, et des «Frères musulmans», Farag Fodda avait démonté pièce par pièce les thèses de ses adversaires. Il avait conclu sa démonstration par ces mots restés célèbres : «Dans l’État laïc (État civil en Égypte) que je défends, vous pouvez repartir avec la tête sur les épaules après un tel débat. Dans l’État islamique, ou du califat, que vous prétendez instaurer, je n’aurais pas les mêmes garanties». Effectivement, le penseur tombait sous les balles des islamistes quelques jours plus tard, confirmant la justesse de son propos.
Quant à l’organisateur matériel du crime, Aboul’ola Abd-Rabbo, condamné à la prison à perpétuité, il a été libéré en 2012 par le Président «Frère musulman» Morsi, destitué par Sissi le 30 juin 2013. Abd-Rabbo a échappé à la peine infligée par les tribunaux, mais la justice divine l’a rattrapé, en mars dernier en Syrie, où il a été tué alors qu’il combattait dans les rangs de «Daesh». Force est d’admettre que ce terroriste irréductible était moins hypocrite que ses semblables algériens, et qu’il ne faisait pas dans la repentance, source de réhabilitation, voire de privilèges. Au lendemain de sa libération, il avait déclaré à la télévision qu’il ne regrettait pas d’avoir participé à l’assassinat de Farag Fodda, et que si c’était à refaire, il le referait sans hésiter. On comprend dès lors la réaction de la fille de Farag Fodda, Samar, qui a adressé ses chaleureuses félicitations à l’armée syrienne qui a rendu justice à son père en tuant l’un de ses assassins. Elle a rappelé le choc, et la douleur, qu’elle et sa famille avaient subis lorsque Abd-Rabbo avait affirmé à la télévision qu’il était prêt à recommencer, et elle avait maudit le Président Morsi pour l’avoir libéré. Est-ce vraiment utile de préciser, tout comme l’ont fait, un temps, nos voisins marocains et tunisiens, que ce genre de choses n’arrive qu’aux autres ?
A. H.

(1) Fille d’Abou-Bakr, appelée ainsi parce qu’elle avait déchiré sa ceinture en deux pour envelopper de la nourriture destinée au Prophète, qui fuyait La Mecque, et qui lui a prédit qu’elle aurait deux ceintures au lieu d’une au Paradis. D’où son surnom.
(2) Le fondateur, et dirigeant de la «Djamaâ», est mort en février dernier dans une prison américaine, où il purgeait une peine à perpétuité pour avoir organisé l’attentat contre le World Trade Center en 1993. En 1997, son organisation avait signé, sans doute en accord avec lui, un acte de «révision» (Mouradja’a) par lequel elle renonçait à la violence, sans engager toutefois toutes ses recrues.
(3) Juste pour rappeler qu’en juin 1992, Tahar Djaout avait pris l’initiative d’une pétition publiée sur une page d’Algérie-Actualité, et condamnant l’assassinat de Farag Fodda, sans attirer une avalanche de signatures, c’est vous dire…
(4) Ce qui se rapprochait à peu de choses près des conférences de presse organisées par Abassi Madani à la mairie de Kouba, avec une poignée de journalistes, et des dizaines de militants du FIS bourdonnants, et prêts à foncer.

Source Le Soir d’Algérie

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