Islamisme

Chronique du jour : Kiosque arabe/ Aller au «Booker» sans risques

Par Ahmed Halli
halliahmed@hotmail.com

Grâces en soient rendues au Seigneur des mondes et aux mannequins dans une moindre mesure et plus précisément à Amina Kahn, l’une d’entre elles, choisie par les laboratoires de L’Oréal. Amina Kahn, qui s’est fait un nom sur les réseaux sociaux, et notamment sur «Instagram», a été choisie par la célèbre marque de cosmétiques pour la promotion de ses shampoings. Jusque-là, en regardant les publicités sur les chaînes satellitaires arabes, j’avais remarqué que les femmes voilées étaient plutôt utilisées dans les lessives et/ou les couches-bébés. Quand il s’agissait de faire la promotion des shampoings, les voilées (attention à l’inversion des premières voyelles) cédaient la place à d’amples chevelures souples et soyeuses. Ce qui était somme toute logique puisque pour se laver les cheveux, et devant les caméras, il est nécessaire de ne pas les couvrir, mais Amina Kahn nous promet que si : elle utilisera du shampoing sans se dévoiler ! C’est du moins ce qu’elle a affirmé après l’annonce de L’Oréal la concernant, ce qui laisse supposer qu’après le «burkini» cache-tout, on va avoir droit au shampoing par osmose. Les «voileurs» (pas nécessairement concernés par les inversions), se verront ainsi offrir par l’Occident décrié un atout supplémentaire à faire valoir pour l’incitation au «hidjab».
De fait, ces messieurs ont déjà gagné la bataille des sens, dans l’appréhension la plus large du mot, en persuadant les masses que la devine providence pensait cache-cheveux en disant paravent. Se basant sur une lecture aussi malintentionnée qu’équivoque, et sur un hadith d’origine plus que douteuse, des misogynes nés vieux ou misogynes, parce que vieux ont validé le mensonge. Nos dirigeants politiques et directeurs de conscience autoproclamés ont pris le relais pour faire du voile un symbole de pudeur face à ces Occidentaux immoraux, mais si inventifs. La preuve: qu’ils nous vendent des Airbus ou des pilules bleues sans préservatifs, les mécréants nantis sont pour nous un miroir fidèle et ils s’adaptent à tous nos fantasmes et lubies. Ils poussent même la retenue et la discrétion jusqu’à regarder ailleurs lorsque nous faisons subir à nos femmes des traitements qu’ils ont relégués pour leur part dans les livres d’histoire. On sait comment des chaînes de télévision satellitaires ont organisé des sondages de rues pour accréditer l’idée que la violence maritale était légitime et qu’il fallait s’y soumettre. Ces sondages très orientés visaient, en fait, à inciter les femmes battues à se résigner à leur sort et que toute insoumission ou révolte était une désobéissance à Dieu, puisqu’il en a décidé.
Au nom de «Dieu l’a dit», nos députés ont longuement disserté sur la nature et la longueur du bâton qui devait servir à amadouer la femme, après l’échec du sermon et de la grève du lit. Il y a quelques années, le suborneur Karadhaoui avait autorisé le mari à frapper sa femme en évitant de laisser des traces visibles. «Frappez-la partout où ça fait mal, mais sans la blesser et surtout évitez le visage», au cas où une caméra indiscrète, venue d’ailleurs, passerait dans les parages. L’universitaire tunisienne Ahlem Akram rappelle cette fatwa dans la chronique qu’elle vient de consacrer au comportement odieux du directeur de l’université soudanaise Al-Ahfad, d’Oum-Durman. Cette université privée, qui n’accueille que des étudiantes selon ses statuts, a été fondée en 1903 par l’arrière-grand-père du directeur actuel, le violent Kassem Badri. Confronté à une manifestation des étudiantes qui protestaient contre l’augmentation injustifiée des prix de la restauration et des droits, le responsable a roué de coups un groupe d’étudiantes. Il a ensuite expliqué aux médias qu’il avait agi comme un grand frère (ou un mari ?) pour empêcher les étudiantes de poursuivre leur protestation dans la rue et de faire des bêtises. Le pire, c’est qu’il a été soutenu dans cette affaire par l’une des enseignantes, membre de sa famille, note Ahlem Akram.
Elle rappelle ainsi, si besoin est, le rôle néfaste que peut jouer la femme contre elle-même, en s’opposant au courant de la promotion féminine et de la modernité. Un sondage réalisé en Jordanie, il y a quelques années, a montré que 85% des femmes étaient d’accord avec l’exercice violent de l’autorité maritale. Ce qui est révoltant, dans cette université, ajoute Ahlem Akram, c’est qu’elle reçoit des subsides multiformes des universités occidentales, et ce, au nom de la science et de la promotion des femmes. Il serait temps d’ailleurs que les partenaires de cet établissement, qui n’a pas été fondé pour servir de gagne-pain à une famille, soient plus rigoureux sur sa gestion. Il serait temps notamment d’exiger que des syndicats y soient autorisés, puisqu’ils ne le sont pas, et que l’université prenne des initiatives pour la mixité, note l’intellectuelle tunisienne dans sa chronique sur Elaph. N’ajoutons pas du noir au noir et réjouissons-nous qu’un auteur algérien aussi féministe qu’Amin Zaoui figure dans les 16 nominés pour le «Booker»(1). Avant même d’avoir lu ce roman, je me suis arrêté à son titre éloquent La jambe sur l’autre — Sur l’apparition confirmée du croissant de lune des amoureux. Tout un programme et un hommage au plus méconnu des écrivains et journalistes de langue arabe, le Libanais Ahmed Farès Chidiaq, né maronite et mort en musulman(2).
Amin Zaoui peut aller sans crainte au «Booker» du roman arabe, c’est un prix d’origine britannique, et la Grande-Bretagne reste un colonisateur acceptable, pour ceux qui ne l’ont pas connu. Contrairement aux écrivains francophones algériens qui subissent le feu grégeois des contempteurs quand ils se risquent à être présélectionnés pour le Goncourt. Toutefois, il y a l’engeance de ceux qui ne peuvent briguer un prix littéraire pour prose incapacitante, par nationalisme attardé ou simplement par misogynie. C’est le cas des plus ou moins écrivains irakiens qui font résonner les réseaux sociaux de leurs cris de chats à queue écrasée, simplement parce que le jury du «Booker» a sélectionné une jeune romancière, Chahd Al-Raoui(3). Commentaire désabusé de l’écrivain irakien Mazen Latif : «Si le Coran, et La Voie de l’éloquence (Nahdj-Al-Balagha de l’Imam Ali) étaient sélectionnés pour le ‘’Booker’’, les Irakiens crieraient au favoritisme.» Et comme d’habitude, les détracteurs n’ont même pas pris la peine de lire le roman incriminé !
A. H.

1) Prix littéraire annuel du roman arabe, aussi prestigieux et couru que le Goncourt pour les écrivains francophones.
2) Farès Chidiaq (1804-1887) s’est converti à l’Islam, sous l’influence de l’émir Abdelkader dont il était un grand admirateur, dit-on. Il est plus connu en particulier des lecteurs francophones, pour son roman La jambe sur l’autre.
3) Il s’agit de L’heure de Baghdad, premier roman de la jeune écrivaine dont la jolie frimousse trône en couverture, de quoi réveiller les misogynies et autres pathologies somnolentes.

Article publié dans Le Soir d’Algérie

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