Islamisme

Massacre de Bentalha :  » Je me souviens  » par Farid Alilat

Je me souviens de cette femme chétive, visage noirâtre, yeux de souris perçants et cheveux crépus. Elle s’appelle Nacera Ould Hamrane. Je l’ai vue dans une caserne de l’armée à Ould Allel lorsque le général Fodhil Cherif a convoqué la presse pour faire un point sur l’opération anti-terroriste engagée en octobre 1997 contre les fiefs du GIA à Ouled Allel, Sidi Moussa et Bentalha. Nacera dont le frère était un émir du GIA a été arrêtée avec sa mère. Dans cette caserne où elle était détenue, elle répondait aux questions des journalistes.
Il y a 23 ans, dans la soirée du 22 au 23 septembre 1997, un groupe terroriste a fait un raid nocturne à Bentalha pour massacrer plus de 200 personnes, souvent à la hache et au couteau. Une trentaine de femmes, jeunes pour la plupart, ont été enlevées cette nuit-là pour servir d’esclaves sexuelles aux hommes d’Antar Zouabri, chef du GIA. Nombre d’entre elles ont été exécutées au couteau après être passées d’un terroriste à autre.
Nacera et sa mère ont été chargées d’une mission particulière: elles désignaient aux terroristes les familles qu’il fallait épargner car complices et celles qu’il fallait exterminer ce nuit-là. Quand une famille est suppliée, la mère et sa fille Nacera passaient derrière pour dépouiller les cadavres de leurs bijoux et autres objets précieux.
Devant les journalistes dans cette caserne, Nacera n’avait pas de remords. Elle répondait avec sang-froid. Et je me souviens avec une forme de dédain. « Je collectais les bijoux, l’argent et les objets précieux sur les corps des femmes que les autres égorgeaient », nous disait-elle. Nacera ne faisait pas que moucharder et détrousser les victimes gisant dans des marres de sang, le crâne fracassé. Elle avait tué deux anciennes voisines.
En 2007, Nacera et sa mère ont été libérées de prison. Elles ont bénéficié de la loi sur la paix et la concorde nationale que l’ancien président a fait adopter en 2005. C’est la nuit du souvenir pour ne pas oublier les égorgeurs et ceux qui les ont graciés. J’allais oublier.
En 2014, j’ai eu des entretiens avec un ancien émir du Groupe islamique armé (GIA) et de l’Armée islamique du salut (AIS) dans le cadre d’une enquête sur « la vie après le maquis ». Il m’avait alors raconté l’histoire de Cheikh Lakhedar.. Cheikh Lakhedar avait une mission, une passion, une fonction auprès d’Antar Zouabri : égorger des enfants. Nul autre que ce cheikh ne pouvait s’acquitter aussi bien de cette tâche.
Quand les groupes armés faisait des razzias dans les villages isolés, prenant fillettes et femmes comme des butins de guerre ou quand ils font prisonniers de jeunes bergers qui font paître leurs troupeaux dans forêts et maquis parce qu’ils les soupçonnent d’être des indics, alors intervenait Cheikh Lakhedar.
Il alignait les enfants comme des moutons, puis les égorgeait. Avec délectation souvent, parfois avec lassitude, mais toujours avec le sens du devoir accompli.
Cheikh Lakhedar a tué au moins 600 gosses, peut-être plus, me dit l’émir. Qu’est devenu Cheikh Lakhedar,? Il est descendu du maquis. Il a été gracié, sans même avoir été jugé par un tribunal.
Et ça aussi, c’est pour ne pas oublier.
Farid Alilat le 22/09/2020 
Photo ©Hocine Zaourar
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