Algérie

L’historique contre-pied par Mohamed Benchicou

In le Matin du 15 avril 2004

Par Mohamed Benchicou

Nous venons, en réalité, de briser une double innocence, tenace, perfide même : celle de croire que l’armée, comme l’Occident, est l’exécutante de nos caprices démocratiques

Les lendemains de défaites étant toujours propices aux flagellations, nous voilà devant d’interminables queues de candidats au purgatoire, prêts au châtiment, décidés à payer pour un délit dont ils ignorent la nature mais qui, pour leur malheur, porte un nom sur un visage : Bouteflika. Est-ce bien sérieux ? Car enfin depuis quand expie-t-on le péché de la crédulité ? ou, plutôt, comment nous en vouloir d’avoir tellement désiré le changement, nous qui ne pouvions nous en acquitter du prix, qu’on en est venu à espérer qu’il pouvait nous êtes offert gracieusement par les généraux ? Ce qui s’est produit ce 8 avril est le résultat le plus abouti de nos impatiences. Pas le temps d’accompagner un mouvement populaire. Tout et tout de suite. Qui, cependant, faut-il blâmer d’avoir encouragé cette ingénuité si ce n’est le système lui-même ? Depuis 1991 et l’expérience du FIS, il était établi que, dans nos sociétés soumises, la victoire électorale est réservée à celui qui saurait conduire une vraie campagne populiste, séduire et inquiéter, émouvoir et épouvanter, flatter les orgueil ou effrayer par le chao, tenter par le paradis ou apeurer par l’enfer, corrompre les âmes ou acheter les voix. Conditionner les esprits. Fraude imparable. Une partie de la société perméable à la propagande condamne alors, par son vote, l’autre partie à subir le règne de ses puissants propagandistes. Depuis 1991, on comprit qu’un processus électoral dans les conditions d’asservissement par le Livre ou l’argent ne profiterait qu’aux charlatans et s’il fallait sacrifier à la mode des urnes, il restait à faire en sorte d’éloigner toute mauvaise surprise jusqu’à l’avènement qu’une vraie parité des chances. Crevons la bulle hypocrite : depuis quatorze ans, on a appris à compter sur le « traitement » des suffrages comme seul moyen d’accommoder le sort de la République aux frivolités électoralistes. Mieux valait encre frauder, disait-on, que d’avoir à interrompre le processus électoral.

Qui a alors pensé qu’on allait, le 8 avril, divorcer avec cette hypocrisie acceptée et assumée ? En quoi le FIS était-il différent d’Abdelaziz Bouteflika ? Le parti intégriste avait les mosquées pour conditionner les masses, le Président-candidat avait la télévision. Le FIS distribuait des couffins de provisions, Bouteflika l’argent de l’Etat. Le FIS comme Bouteflika promettent une fin peu honorable aux généraux janviéristes, envisagent de sceller un accord sur les décombres de la République, vouent les laïcs aux gémonies, portent un projet populiste qui restreint les libertés. Comment alors reprocher aux millions des nôtres d’avoir pensé que, conformément à la tradition en vigueur depuis le FIS, les «gardiens de la République» allaient prémunir le pays du « vote transparent», ce maudit 8 avril 2004 ? On a abdiqué entre les mains de Bouteflika les énormes moyens d’aliénation des masses pour ensuite décréter que le scrutin issu de cette aliénation sera « loyal » ! C’est toute l’histoire de ce contre-pied historique qui explique à la fois ce désagréable sentiment d’avoir été dupé par les «gardiens de la République» et cette impuissance devant des événements qu’on redoute, qu’on attend et qu’on s’apprête à subir seuls. Nous venons, en réalité, de briser une double innocence, tenace, perfide même : celle de croire que l’armée, comme l’Occident, est l’exécutante de nos caprices démocratiques ; celle de penser qu’on peut réparer le moteur du progrès sans mettre les mains dans le cambouis. Sommes-nous déniaisés pour autant ? Difficile à dire. Nous le seront vraiment le jour où des élections organisées par ce système échoueront à tourner la tête. Aucune mascarade officielle ne doit plus jamais nous émouvoir. Arrangée ou pas. C’est à seul prix qu’on recouvrera nos autonomies et nos lucidités, seuls vaccins efficaces contre les violentes désillusions.

Dépassons donc les amertumes et les cris revanchards de ces joyeux pourfendeurs qui nous invitent à «tirer les conclusions» de la victoire électorale d’Abdelaziz Bouteflika présentée, évidemment, comme la «défaite» des journaux qui lui sont hostiles. Cela revient à nous reprocher de n’avoir pas rejoint plus tôt le harem. Disons qu’une conception généreuse de la confraternité nous a poussés à céder nos places dans le gynécée. Dépassons donc tout cela et réfléchissons dès maintenant sur l’union des forces pour contrer la normalisation à la tunisienne qui s’annonce. On en reparlera. Forcément. M. B.

In le Matin du 15 avril 2004

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